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La Décennie charnière (1960-1969)

 

Longtemps nous avons pensé qu'il était nécessaire d'inclure dans le titre de cet ouvrage une allusion à la Révolution tranquille tant cette étape de l'évolution de la société québécoise demeure indissociable des années 1960. Un titre comme La Révolution tranquille de la science-fiction et du fantastique québécois apparaissait par trop ambitieux au regard de l'objectif de cette publication qui ne vise qu'à reconnaître et à commenter à la pièce les œuvres de science-fiction et de fantastique parues entre 1960 et 1969. Bien sûr, l'analyse de ces textes ne peut ignorer l'impact qu'ont eu sur la société québécoise la modernisation des structures de l'État et l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération d'hommes politiques.
Et pourquoi pas La Décennie tranquille ? À l'inverse, ce titre avait l'inconvénient de minimiser l'importance indéniable de la littérature fantastique et de science-fiction dans la production générale de l'époque. Qu'on songe que, parmi les auteurs qui ont pratiqué ces deux genres au cours de la décennie en question, on trouve des écrivains de premier plan comme Yves Thériault, Michel Tremblay, Roch Carrier, Andrée Maillet, Claude Jasmin et d'autres moins connus aujourd'hui mais néanmoins importants comme Jean Hamelin, Claude Mathieu, Jean Tétreau, Jean Simard et Maurice Gagnon.
La Décennie charnière nous est apparu davantage approprié pour qualifier la production de ces dix années. Charnière, en effet, que cette époque qui contient en même temps des traces de la littérature qui s'écrivait dans la première moitié du XXe siècle et des signes d'une modernité qui s'exprime à la fois dans l'expression de nouvelles valeurs et dans la forme narrative. Cette cohabitation de courants littéraires divergents se vérifie particulièrement sur le terrain de quelques publications mensuelles non littéraires, véritable microcosme d'une société québécoise en pleine mutation.
D'une part, Le Bulletin des agriculteurs et La Ferme, qui s'adressent au monde rural, publient des textes traditionnels perpétuant des valeurs conservatrices. D'autre part, la revue Châtelaine, dont le lectorat est surtout urbain, de même que le magazine Maclean, dans une moindre mesure, n'ont de cesse de promouvoir des idées progressistes et des valeurs modernes. Et quel genre mieux que la science-fiction peut incarner cette ouverture au monde et cette audace ? Il n'est pas étonnant que sept des onze nouvelles publiées dans Châtelaine qui sont commentées ici relèvent de la science-fiction, une proportion sans commune mesure par rapport à l'ensemble des nouvelles de SF publiées au cours de cette décennie (19 % contre 81 % de nouvelles fantastiques).
La production romanesque, par contre, est dominée par la science-fiction mais celle-ci n'a pas encore réussi à être acceptée par l'institution littéraire. Elle va se manifester d'abord dans la littérature populaire, dans ces pulps à grand tirage vendus 0,10 $ l'exemplaire. Ainsi, la série de Pierre Saurel, Les Aventures étranges de l'agent IXE-13, dont le succès est considérable, va connaître dix-huit épisodes en 1960 qui promènent son héros dans l'espace et sur d'autres planètes. Toutefois, c'est la littérature jeunesse, qui commence à peine à émerger au Québec à ce moment-là, qui va être le fer de lance de ce genre littéraire. En effet, des séries comme Unipax de Maurice Gagnon et Volpek d'Yves Thériault, publiées chez Lidec, sans compter le roman maintes fois primé de Suzanne Martel, Quatre Montréalais en l'an 3000, vont avoir un effet déterminant sur l'évolution de la SF au Québec. Sur 17 titres parus au cours de cette décennie, 15 romans s'adressent aux jeunes.
On peut expliquer la faible présence de la SF à cette époque par le fait que le Québec commence à peine à s'ouvrir au monde, à se forger une identité comme nation et à faire entendre sa voix sur la scène internationale. Comment les écrivains auraient-ils pu auparavant se projeter dans un genre où les frontières terrestres n'ont plus de sens alors que le Québec était replié sur lui-même depuis si longtemps ? Les conditions socioculturelles de la première moitié du XXe siècle ne favorisaient tout simplement pas l'éclosion de la SF en terre québécoise.
Pendant ce temps, le fantastique envahit tranquillement le paysage littéraire québécois. Sans doute le genre correspond-il davantage, par sa nature et par ses thèmes – propension à l'intériorité, quête d'identité, dépossession et victimisation – à la situation de minoritaire dans laquelle se trouve le Québec à l'intérieur du Canada. En outre, l'élite intellectuelle du XIXe siècle ayant légitimé ce genre littéraire en reconnaissant l'apport de la tradition orale des conteurs dans la constitution de la littérature nationale, le fantastique n'éprouve pas dès lors les mêmes difficultés que la science-fiction à se faire accepter.
Outre les médias ruraux mentionnés plus haut, c'est Le Nouvelliste qui, avec son concours annuel de contes de Noël, représente le principal promoteur de ces valeurs conservatrices où la morale et l'ordre social triomphent. Rares sont les auteurs ayant publié dans les pages de ces journaux qui n'ont pas sombré depuis dans l'oubli. Ce courant traditionnel n'est cependant pas le seul à traverser le fantastique québécois de cette décennie, moins monolithique qu'on pourrait le croire. À preuve les recueils de Claude Mathieu, La Mort exquise, qui s'abreuve au courant du réalisme magique et de Roch Carrier, Jolis Deuils, qui propose des contes philosophiques hors du temps et délestés du terroir. Écrit sous l'influence de Lovecraft, le recueil de Michel Tremblay, Contes pour buveurs attardés, apparaît moins novateur en soi mais témoigne néanmoins d'une volonté de rompre avec le modèle fantastique canonique popularisé par Louis Fréchette, Pamphile LeMay et Joseph-Charles Taché.
Des revues littéraires comme les Écrits du Canada français, Liberté et La Barre du Jour encouragent l'exploration de nouveaux thèmes et accueillent de nouvelles voix mais la production fantastique est concentrée dans les recueils qui accaparent 68 % des nouvelles.
Plusieurs maisons d'édition se partagent la publication des romans et des recueils au cours de la décennie 1960-1969. Si Lidec détient pratiquement le monopole en littérature jeunesse en revendiquant dix titres sur quinze, le portrait est bien différent en ce qui concerne les œuvres pour adultes. La plupart des maisons de l'époque (Fides, HMH, Beauchemin, le Cercle du Livre de France, Éditions du Jour) comptent dans leur catalogue un ou plusieurs titres.
La palme revient à une maison née avec la Révolution tranquille, les Éditions du Jour. Son importance comme foyer rassembleur des jeunes auteurs jusqu'au milieu des années 1970 n'est plus à démontrer. La maison de Jacques Hébert a publié le premier recueil de Roch Carrier, Jolis Deuils, les deux premiers livres de Michel Tremblay, un roman de SF et un recueil de nouvelles en partie fantastiques de Jean Tétreau (Les Nomades et Volupté de l'amour et de la mort), le roman pour jeunes de Suzanne Martel mentionné précédemment et, surtout, un recueil de nouvelles d'Yves Thériault. Si la bombe m'était contée, paru en 1962, revêt une importance historique car il s'agit du premier recueil québécois composé essentiellement de nouvelles de science-fiction. Non seulement la thématique apparaît audacieuse, mais la forme l'est tout autant. Thériault a intercalé entre les six nouvelles du recueil des extraits d'ouvrages qui rendent compte des effets des radiations sur l'espèce humaine et la nature. En outre, ce recueil, inspiré par la crise des missiles de Cuba, rappelle un moment clé de l'actualité mondiale et cristallise en quelque sorte les peurs et les préoccupations de la société québécoise. Le roman de Tétreau et plusieurs nouvelles, dont Un abri de Jean Simard, relaient cette même crainte de la menace atomique.
Peu après, la société québécoise prend un bain de foule à la faveur de l'Exposition universelle qui a lieu à Montréal en 1967. La révolution sexuelle, la contre-culture et la pensée utopique nourrissent certains textes – ceux de Jean Pierre Lefebvre, de Claude Jasmin et de Chantal Renaud, notamment – publiés dans le magazine Châtelaine.
On constate enfin, en analysant la production de cette décennie, qu'aucun écrivain ne peut être considéré comme le chef de file de la science-fiction ou du fantastique. Yves Thériault ? Malgré le caractère novateur et l'importance de son recueil, Yves Thériault a produit une œuvre avant tout réaliste et il a abordé tous les genres littéraires. Michel Tremblay ? Le succès des Belles-Sœurs et la suite de sa carrière comme dramaturge et romancier l'éloignent de ces deux œuvres de jeunesse. Roch Carrier ? Encore là, Jolis Deuils apparaît comme un cas isolé, une expérience sans lendemain dans sa production. Et Claude Mathieu ? Un seul recueil, aussi réussi soit-il, ne fait pas de son auteur un chef de file surtout quand celui-ci est si discret.
Au cours de cette décennie, 60 auteurs, soit 41 hommes et 19 femmes, ont publié un récit de SF ou un texte fantastique. Il y a dans ce groupe des écrivains qui ont contribué de façon remarquable à la vitalité de la littérature québécoise. Il y a dans ce corpus de 140 nouvelles et de 20 romans (auxquels il faut ajouter un feuilleton) des œuvres qui méritent d'être lues ou relues car elles portent en elles des thématiques particulièrement fortes et en prise directe sur la pensée politique et sociale de l'époque où elles ont été écrites. Il faudra cependant attendre encore dix ans avant qu'un mouvement s'amorce, avant qu'une revue puisse prétendre attirer autour d'elle des écrivains de SF et de fantastique, avant qu'un milieu se constitue en se donnant des assises et qu'émergent des écrivains qui se consacrent exclusivement à l'un ou l'autre de ces genres.
Quoi qu'il en soit, la lecture des pages de cet ouvrage nous rappelle que la littérature est avant tout une affaire personnelle, que les écoles ou les courants n'apparaissent souvent qu'avec le recul du temps, quand ils ont fini d'exister, précisément. Ce qui n'empêche pas de trouver dans les œuvres commentées ici tous les courants et toutes les idées qui agitent la société québécoise au cours de la décennie 1960-1969.

Claude Janelle

ASFFQ60-69

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