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SFFQ : Adam - Angers



Kadel, un roman de Luc Ainsley (1986)

Ambar, le neveu préféré d'Ederan, roi de Parador, traverse la palissade qui interdit l'accès à la forêt de Cournaden à la faveur de la nuit et d'un médaillon magique qui le transforme en lièvre. Ambar est passionné par l'Histoire et il cherche à découvrir la légendaire cité de Damnos qu'il croit perdue quelque part dans la forêt de Cournaden.
Agaël, le garde affecté à la surveillance de la palissade, le surprend et se lance à sa poursuite dans la forêt maudite. Les deux Kadéliens sont faits prisonniers par des hommes masqués. Ils se réveillent dans un cachot, en compagnie d'Azurée, une jeune fille du pays situé à l'ouest de Cournaden, le royaume de Tahorm, et d'un petit voleur appelé Puce.
Les deux compagnons sont amenés devant le Roi Roquéran qui les interroge sur leur identité et cherche à leur soutirer des renseignements sur l'épée Féremsil, une épée magique qu'il convoite. Malhorn, le gardien du Plan, croit qu'Ambar peut le conduire à cette épée ayant appartenu à James Thucker, le chef des Stellaires qui a vaincu le peuple de Volgor. Depuis cette malédiction, les habitants de Volgor vivent dans une cité souterraine et ruminent leur vengeance. Ils se défendent de leurs voisins en enlevant les intrépides qui se hasardent dans la forêt et s'assurent leur fidélité en leur faisant prendre une herbe noire appelée aès qui les rend amnésiques. Ils rêvent de reconquérir la surface et d'assujettir les royaumes de Parador et de Tahorm dont les habitants sont les descendants directs des Stellaires, sans toutefois disposer de la magie de ceux-ci.
La possession de l'épée Féremsil assurerait à Malhorn et à son peuple une supériorité écrasante sur ses ennemis. Il favorise donc leur évasion de la cité souterraine de Fel Emnas dans l'espoir qu'ils le conduiront à Damnos où repose Féremsil. Entre temps, Malhorn a fait absorber de l'aès à Azurée, dont Ambar est tombé amoureux, afin qu'elle le trahisse au moment opportun. Le groupe de fuyards choisit de s'enfuir sur un radeau en empruntant une rivière souterraine au lieu de remonter à la surface.
Après des jours de navigation, ils échouent sur une plage, aux portes de la cité de Damnos. Azurée administre alors une dose d'aès à Ambar et à Agaël après qu'ils eurent découvert Féremsil. Elle est sur le point de mener à terme le projet de Malhorn quand elle doit affronter une armure qui les a suivis à distance. Cette armure magique est l'incarnation de James Thucker, le propriétaire de l'épée. La puissance du Stellaire est trop grande pour Azurée qui est finalement délivrée de son maléfice et retrouve Ambar.

On aura reconnu à la lecture de ce résumé tous les ingrédients du récit d'heroic fantasy. Kadel de Luc Ainsley est en effet la première partie, sous-titrée L'armure et l'épée, d'une oeuvre d'heroic fantasy qui répond en tous points aux canons du genre. On y assiste à une lutte entre le Bien et le Mal, lutte qui oppose la magie blanche et la magie noire. Il n'est pas jusqu'au combat que se livrent la lumière et l'ombre qui ne soit littéralement inscrit dans le récit puisque les Kadéliens, habitants de la surface et vivant en plein jour, sont aux prises avec les visées belliqueuses des Volgoriens, retranchés dans une cité souterraine et réduits à vivre dans l'obscurité.
Si le cadre et l'enjeu de l'affrontement sont présentés avec efficacité et dans la plus pure tradition du genre, à laquelle participe l'insertion d'une carte de cet univers imaginaire, c'est par la suite que le récit d'Ainsley se gâte sérieusement et qu'on peut mettre en doute certaines décisions de l'auteur. En fait, à mesure qu'on progresse dans le récit, on est de plus en plus déçu car les événements apparaissent de plus en plus prévisibles. Le principal ressort de l'heroic fantasy est l'action, de préférence trépidante et bourrée de rebondissements. Le récit d'Ainsley manque singulièrement de rythme. Il se perd dans des digressions qui ne font aucunement avancer l'action principale.
Ainsi, ce personnage du balayeur d'escaliers qui trouve la clé de l'armure qu'a endossée pour son plus grand malheur Hartès, un espion de Malhorn, est tout à fait inutile puisque la clé n'est d'aucune utilité pour Hartès. La présence de certains autres personnages secondaires n'apparaît pas indispensable mais peut-être que la deuxième partie de l'oeuvre la justifiera.
Par contre, on peut se demander sérieusement pourquoi l'auteur s'est débarrassé aussi tôt du conseiller Malhorn, le machiavélique gardien du Plan. De tous les personnages, c'était le plus fort, le mieux développé et pourtant, l'auteur l'abandonne bêtement. Grâce à quelques phrases équivoques, Ainsley avait réussi à donner à ce personnage une ambiguïté intéressante qui le distinguait des rôles de méchants irréductibles. Tout ne semblait pas irrémédiablement perdu dans son cas et une phrase nous amène même à nous demander s'il n'est pas le père d'Azurée: «Malhorn fut troublé dès qu'il la vit. Elle lui ressemblait beaucoup. Les mêmes traits, la même grâce qui caractérisait Malhorn avant qu'il ne porte le poids de nombreuses responsabilités». (p. 83) En comparaison, les autres personnages sont à peine esquissés et n'ont guère de présence.
Si l'action semble poussive, c'est peut-être dû au fait que le lecteur n'a jamais l'impression de vivre les événements mais plutôt de se les faire raconter. En outre, l'auteur ne parvient pas vraiment à imposer l'atmosphère étouffante et la noirceur continuelle de la cité souterraine qui constitue la majeure partie du temps le cadre du récit. La différence de perception entre lesVolgoriens qui voient dans l'obscurité et les Kadéliens n'est jamais rendue sensible dans la scène de la placedu marché public, par exemple.
Mais l'aspect le plus discutable du récit demeure, à mon avis, l'usage qu'il fait de la magie. Luc Ainsley a l'air de croire que l'heroic fantasy l'autorise à utiliser la magie pour dénouer une situation qui s'acheminait vers un cul-de- sac narratif. Comme un mauvais magicien, il utilise la magie inconsidérément et il s'imagine qu'elle peut maquiller toutes les invraisemblances. La plus criante de celles-ci concerne l'armure magique. L'auteur se montre remarquablement muet sur la façon dont l'esprit et le corps de James Thucker en arrivent à phagocyter Hartès.
La découverte de Damnos par Ambar et ses amis à la suite de leur fuite par la rivière souterraine du royaume de Volgor n'est pas très convaincante également. Comment se fait-il que les Volgoriens n'aient jamais songé à explorer ce cours d'eau depuis le temps qu'ils vivent sous terre ? Et la fin ? Digne des plus banales harlequinades, à l'image de l'illustration de la couverture, d'une mièvrerie consommée. Pressé de conclure, Ainsley sort sa baguette magique et hop ! rétablit la situation. «L'inconnu sut alors une chose, en dépit du vide de sa mémoire; il avait aimé cette femme et il l'aimait toujours. L'instant d'après, leurs lèvres se rejoignaient parmi le fracas des eaux et le ronflement des dormeurs». (p. 155)
En somme, Kadel, du moins dans la partie qui nous est présentée, ne se distingue pas par son originalité et son efficacité dramatique. L'auteur tente bien d'insuffler un peu d'humour à son récit mais cette intention est continuellement désavouée et battue en brèche par un style grandiloquent qui a pour fonction de souligner la noblesse de la quête d'Ambar et l'importance de l'enjeu du combat.
Luc Ainsley a pourtant remporté un concours pour jeunes auteurs dans la catégorie Littérature de jeunesse avec ce roman, le prix Paul-Aimé-Martin 1986. Il a aussi suivi des cours d'Élisabeth Vonarburg à l'Université du Québec à Chicoutimi. Cela démontre tout simplement que de belles références ne veulent parfois rien dire.
Kadel est le deuxième véritable roman québécois d'heroic fantasy. Ludovic de Daniel Sernine possède une structure beaucoup plus complexe et intéressante, des personnages plus développés, sans compter le talent de l'auteur à évoquer des atmosphères et des environnements pleins de lyrisme et de poésie magique. Mais Sernine a du métier tandis que Luc Ainsley fait ses premiers pas dans l'écriture. Sachons reconnaître ce fait en toute honnêteté.

Claude Janelle



Au niveau du sol (malgré tout), une nouvelle de Donald Alarie (1979)

Je suis une tête qui observe tout. Mais parfois les gens me poussent et je me fracasse sous les roues des voitures, alors il me faut longtemps pour m'en remettre, pour retourner à mes observations.

Voici une nouvelle oscillant entre le surréalisme - comme il en existe beaucoup dans le recueil - et le fantastique horrible. Cette histoire de tête qui gît sur le sol et qui regarde passer les gens offre un aspect tout à fait original. Bien que le ton demeure toujours au niveau du recueil avec sa retenue et sa résignation, on dénote ici une volonté autre, une détermination qui n'apparaît que très peu ailleurs. Cette tête - qu'on me permette le jeu de mots ! - est une tête dure: malgré les écrasements répétés, elle combat pour reprendre son poste d'observation sur le trottoir. En ce sens, elle tranche (oups !) sur les autres personnages d'Un homme paisible.
Donald Alarie, un auteur à découvrir - c'est le mot exact quand on sait la difficulté de trouver ses livres en librairie !

Jean Pettigrew



Causerie sur Bob et Léo avec citations, une nouvelle de Denis Alie (1990)

Le chat-mémoire de la tribu, Émile Contencore, raconte à son auditoire les faits édifiants de la vie de Bob Restenpaix. Celui-ci aurait en effet été un chat d'exception, Celui-qui-a-la-Lueur. Son amitié avec Léo, un gamin malheureux et solitaire, et sa fin tragique alimentent le mythe qui commence à prendre forme autour de sa personne.

Que voilà un beau titre... mais c'est sans doute la meilleure trouvaille de l'auteur avec quelques expressions comme «la pluie-qui-monte» qui signifie l'alcool dans le langage des chats. Le reste est plutôt décevant. L'auteur nous raconte les hauts faits de l'existence de Bob Restenpaix, les principes qui ont guidé son passage sur la Terre, les prodiges qu'il a réalisés. Or, si le ton utilisé par l'orateur cherche à susciter un mythe autour de ce chat d'exception, l'existence même de Bob n'est pas si extraordinaire: il aurait possédé un don de prescience et il aurait lévité à une reprise ! On se serait attendu à un peu plus. N'eût été d'ailleurs de ces dons particuliers, le texte aurait été relégué sans autre forme de procès dans une catégorie autre que la SF: la littérature animalière, par exemple.
Par ailleurs, l'intention mythocratique du texte est continuellement sapée par le personnage de l'orateur, Émile Contencore. L'auteur en fait un vieux gâteux qui a tendance à se répéter (un moyen sans doute pour Alie d'insuffler un peu d'humour) mais cette caractéristique mine carrément la crédibilité du témoignage du prédicateur. On est loin de l'assurance aveugle et du prosélytisme que commandait un tel sujet.
Causerie sur Bob et Léo avec citations est un texte qui suscite tout au plus la sympathie si on aime les chats parce qu'il s'agit d'un hommage senti à la race féline et une invitation à la tendresse et à l'affection à l'égard de cet animal qui continue de fasciner les écrivains.
Denis Alie est une personnalité bien connue dans la région du Centre du Québec. Il a gagné le Prix de la Ville de Drummondville en 1989 avec ce texte et le Prix de la SSJB-Fondation Mgr Parenteau en 1992. Une gloire locale, en somme. Il aurait intérêt à se mesurer à ses pairs sur la scène nationale afin de connaître sa réelle valeur. Mais quelqu'un qui aime les chats ne peut pas être totalement inintéressant !

Claude Janelle



La Mort de la fiction, une nouvelle d'Alexandre Amprimoz(1985)

Le narrateur arrive en enfer, là où «...il est interdit de travailler et de jouer». Il contourne le règlement en se mettant à l'écriture. Il est bientôt imité par tous les autres pensionnaires de Satan qui, pour contrer la production littéraire envahissante, décide de contingenter le volume de publication. Le narrateur a pour tâche de sélectionner cent pages par mois. Un jour, il reçoit trois textes qui ébranlent ses certitudes, sa quiétude de censeur.

Cette nouvelle est assez typique de la production d'Alexandre Amprimoz. Elle contient toutes sortes de jeux de mots plus ou moins réussis, des allusions anodines à la revueSolaris (Lune A Riz) et à Élisabeth Vonarburg qu'il a déjà attaquée dans la revueimagine... («Oui, allons goûter le silence de la cité»), des tics d'écriture, des prétentions théoriques.
L'entreprise d'Amprimoz dans la Mort de la fiction rappelle celle de Bernard J. Andrès dans la Trouble-Fête mais leurs intentions diffèrent grandement. Les deux écrivains pratiquent l'intertextualité et la mise en abyme chères aux théoriciens de la littérature et aux auteurs de la modernité. Ainsi, Amprimoz nous donne à lire- et c'est ce qui compose l'essentiel de la nouvelle - les trois textes qui conduisent le narrateur à conclure que «L'enfer, c'est la mort de la fiction». On ne s'étonnera pas qu'il y ait des ruptures de ton et des juxtapositions de niveaux de langage tout au long de cette nouvelle.
Le troisième texte, qui évoque l'atmosphère d'un camp de concentration, réussit à susciter notre intérêt et à communiquer une certaine qualité d'émotion mais dans l'ensemble, la Mort de la fiction déçoit parce que l'on ne saisit pas la finalité du projet, parce qu'on a l'impression d'être la victime d'un canular comme le laissent supposer ces derniers mots: «Vous venez de saisir: l'enfer, c'est ne pas comprendre. Et puis, Merde!»
Subversive, cette nouvelle ? Provocatrice ? Polémique ? Plutôt un pétard mouillé.

Claude Janelle



Cabo Merengue, une nouvelle de Bernard J. Andrès (1992)

En vacances en République dominicaine, Omer Lalancette est intrigué par le récit du mystérieux naufrage de La Fortuna II, vedette de pêche affrétée par des touristes. Déterminé à retrouver l'épave, le Montréalais entreprend l'exploration du lagon et se retrouve face à face avec une autre légende locale.

J'ai écrit «ailleurs» tout le bien que je pense du premier recueil de Bernard Andrès ; je réitère ici mon admiration pour cette écriture soignée et soutenue, malgré une certaine préciosité, qui à elle seule fait l'unité et l'intérêt du bouquin, et dont Cabo Merengue, la seule nouvelle relevant des genres nous intéressant ici, fournit un échantillon tout à fait représentatif.
L'intrigue est on-ne-peut-plus linéaire, voire prévisible. Pourtant, le style d'Andrès, tout en simplicité affectée, à la fois nerveux et élégant, parsemé de clins d'oeil et d'incises ironiques, confère à cette nouvelle un charme indubitable. Son humour subtil, finement dosé, procède par des calembours (je pense à certains noms de personnages ; par exemple, ce Jerry Bouillon, moniteur de plongée), des récurrences de rengaines publicitaires, des allusions à des clichés littéraires associés à certains genres (notamment le roman Harlequin). Au-delà de cette drôlerie discrète, on admire le réseau thématique mis en place avec le même doigté par l'auteur, ces allusions à la musique, à la séduction du chant et des femmes qui toutes renvoient à la chute, pas réellement surprenante, néanmoins réussie et cohérente.
Toute modeste soit-elle, la réussite d'Andrès m'apparaît d'autant plus réjouissante qu'avec une anecdote aussi mince bon nombre d'écrivains moins habiles auraient carrément fait naufrage et sombré, si on me pardonne le jeu de mots. Qu'il me soit donc permis d'applaudir encore une fois Bernard Andrès pour avoir su éviter les écueils de son sujet et de souhaiter qu'il s'aventure plus régulièrement dans les eaux glauques du fantastique.

Stanley Péan



Chez les morts, une nouvelle anonyme (18??)
(Ce texte est paru pour la première fois - date de parution non connue ­ dans l'Écho de l'Ouest, un journal franco-américain de Minneapolis et St. Paul).

À la porte du paradis, saint Pierre, apprenant que le « Canayen » qui est devant lui a vécu aux États-Unis, le renvoie à saint Patrick. Mais comme le quémandeur ne parle pas anglais, saint Patrick lui refuse l'entrée au paradis américain !

Chez les morts se présente comme une courte saynète mettant en vedette Jean-Baptiste, notre typique « habitant » canadien français, bon catholique, fort travailleur et père d'une nombreuse famille. Constitué pour l'essentiel de dialogues, le texte illustre les préoccupations du moment - l'exode massif vers les États-Unis met en péril la langue et la foi des expatriés - en transposant au Ciel le sentiment d'exclusion et d'injustice ressenti alors par toute une nation. Car le propos ne peut être plus clair : tout d'abord refusé par saint Pierre parce qu'il a vécu aux États-Unis, puis exclu du paradis américain parce qu'il ne parle pas la "bonne" langue, Jean-Baptiste ne devra son entrée au paradis qu'à l'intercession de Dieu le fils en personne !
Non signé, Chez les morts est l'exemple classique de ces courts textes d'atmosphère qui, par le biais de l'humour, stigmatisaient un personnage, une situation ou un événement particulier. Souvent utilisés comme « bouche-trous », ils n'avaient pas le même statut que les contes, les légendes et les nouvelles « officielles » que ces mêmes journaux publiaient à l'occasion. Leur lecture nous donne cependant une idée assez juste de ce qui préoccupait les gens d'alors ou, à tout le moins, les journalistes qui les écrivaient. Or, Chez les morts a vu le jour dans un journal franco-américain du Minnesota, l'Écho de l'Ouest, ce qui éclaire de façon toute particulière son propos, on en conviendra !

Jean Pettigrew