Genèse...

 

Apologie de l'imaginaire

À cause de la popularité récente des films « d'été » de science-fiction, de ces films à grand déploiement qu'on va voir pour se rafraîchir pendant la canicule, le terme science-fiction a pris, chez beaucoup de gens, une connotation de divertissement populaire où on en a plein la vue. Si le domaine de l'imaginaire inclut traditionnellement ce registre-là, il en inclut également d'autres, et depuis tout aussi longtemps.

La science-fiction, le fantastique, l'imaginaire, tirent aussi leurs racines du côté du débat d'idées et des interrogations essentielles, en plus de faire appel aux émotions. Rien de cela n'a besoin de se cantonner dans le registre du superficiel. Ça ne mérite pas un jugement superficiel. Ce n'est pas seulement moi que je défends ici, mais aussi mes collègues. Je me base d'ailleurs ici sur plusieurs conversations avec Jacques Brossard, auteur entre autres de l'impressionnante série L'Oiseau de Feu (cf ses dernières pages).

Si une couverture colorée et un format de livre de poche indiquent un livre indigne d'attention pour le public adulte (silence relatif des médias en rapport à ce qui se publie dans le domaine), où sommes-nous ? Autrement dit, l'apparence même serait un facteur d'exclusion ! À la limite, on pourrait parler de racisme littéraire. On a des couvertures colorées, on est des gens de couleur, on fait comme si nous n'étions pas là !

En littératures de l'imaginaire, pourtant, la tradition des couvertures accrocheuses est presque centenaire. Qu'elles soient dans le registre de l'évasion ou qu'elles abordent des idées subtiles, chez les Anglo-saxons comme chez les Français, les livres sont le plus souvent en format poche avec une illustration sur la couverture. J'endosse ce style, il appartient à une tradition internationale. Cette tradition a produit des oeuvres s'adressant parfois aux jeunes et parfois au public le plus général, et ceci dans tous les niveaux de qualité, y compris l'excellence, que ce soit du point de vue de la maturité de la pensée, de la pertinence de la réflexion ou de la profondeur de l'intuition ­ que l'on songe au Brave New World de Huxley, à 1984 d'Orwell ou au Left Hand of Darkness d'Ursula LeGuin, pour citer des exemples qui font l'unanimité.

Les gens qui en écrivent ont souvent, comme moi, une culture scientifique ; la plupart du temps, ils sont très au courant de l'actualité et des tendances culturelles. L'oeuvre peut viser l'intemporel et parler d'autre chose que du quotidien ; cependant, pour qu'elle le fasse efficacement, elle doit être faite par quelqu'un qui possède une base concrète ferme et qui a un bon contact avec les gens de son temps.
Quand on aborde la question d'une littérature où on joue avec les idées, un problème apparaît. Les moyens de communication de masse préfèrent ne pas s'avancer. À écouter certaines émissions de radio ou de télévision, on dirait qu'on voudrait restreindre le discours public adulte au niveau du superficiel, de l'intérêt public immédiat. Du côté littéraire, cela donne un culte du réalisme où priment l'intérêt du style et la personnalité médiatique de l'écrivain. Une telle restriction est dangereuse. La culture générale n'est pas si étroite. À force de donner des éléments de philosophie et d'imaginaire à la jeunesse uniquement, c'est comme si on oubliait qu'une réflexion libre en ce sens est appropriée à tout âge. Pourquoi reléguer au registre de la jeunesse ou de l'évasion tout ce qui ne se plonge pas le nez dans le quotidien le plus répétitif ? Être adulte, est-ce dire qu'il y a des sujets qu'on n'a plus besoin d'aborder ? Même dans le privé d'un livre ?

N'est-il pas malheureux que la grande qualité de tolérance de notre société ait sa part d'ombre, qui est le refus de comprendre sérieusement ce qui est vraiment autre ? Le sens de la vie se résume-t-il à avoir sa famille et ses amis autour de soi ? Cette timidité de pensée me déçoit d'autant plus que je vois bien qu'une telle philosophie étriquée de la vie, où l'on serait sans pouvoir, où l'on se regarderait gentiment le nombril en refusant la puissance de sa propre intelligence, ne convient à personne.
Une littérature d'idées ; ça remue des choses, ça dérange, c'est un exercice intellectuel et émotif bon à tout âge ­ et cela fait partie, de tout temps, du mandat de la science-fiction et des littératures de l'imaginaire. En plus de faire partie des mouvements ordinaires d'une société qui se respecte.

Les gens qui s'imaginent m'avoir lue parce qu'ils ont vu un Star Wars, j'en rencontre encore. Peu importe la situation de pouvoir où ils se trouvent, je n'ai pas à jouer leur jeu.

Je suis représentante d'une tradition très vaste. Je suis là pour donner une vision du monde, pour maintenir ouvertes des portes que d'autres ont tenues avant moi, pour que des messages de symboles et de forces venant de la nature des choses, possédant l'efficacité que confère le voile d'un récit, continuent à être transmis, d'une génération à l'autre, par des gens vivants.

Peu importe sa valeur en fonction de l'immense ensemble des livres, je suis fière d'avoir écrit ce que j'ai écrit. J'ai accompli ce que j'avais décidé. Je ne l'ai pas fait seule, évidemment. Grâce à des circonstances favorables, qui ne dépendent pas de moi, mais d'un ensemble de gens bienveillants, j'ai réalisé le projet de ma jeunesse pleine de colère rentrée sous le sourire, de jugements tranchants derrière les yeux et de passions non partagées dans le coeur. Ce projet a mûri et m'a accompagnée alors que je me suis mariée, que j'ai porté mes enfants, que je les ai élevés et menés à l'âge adulte, et que j'en ai mis un en terre. En me plongeant dans ces mondes comme je me plongeais dans l'existence, je suis devenue moi-même. Les livres sont publiés. J'ai dû payer le prix, et ça en valait la peine.


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